Sécurité ontologique et mécanismes de défenses

Hier lors d’une séance de supervision collective du LabDeCoachs, nous nous sommes posés la question du « devoir de confrontation » du coach en regard de la nécessité de respecter la sécurité ontologique du client et du respect de ses défenses. Ces deux concepts sont issus de deux traditions sensiblement différentes et j’ai eu envie de les explorer de façon plus approfondie, à la fois dans leurs similitudes et dans leurs  différences et de réfléchir à ce que cela peut nous apporter dans notre pratique de coach. 

Parler d’Ontologie, c’est faire référence à une vision existentielle de l’être. Dans le contexte de l’accompagnement psychologique, le respect de la sécurité ontologique d’un patient/ client renvoie au respect fondamental de son existence et de son intégrité en tant que personne c’est-à-dire non seulement  de ses valeurs et de ses croyances mais aussi de son rythme personnel et de sa capacité à intégrer ce qu’il lui propose. Cela a à voir aussi avec le non jugement et l’accueil inconditionnel du client. Lorsque le praticien estimera qu’il est pertinent de confronter la personne à ses croyances limitantes, cela n’est pas toujours facile d’accepter que son client n’accepte/n’intègre pas la dissonance dont il lui parle et qu’il a souvent ressenti de façon assez intense. Que ce soit parce que son hypothèse n’est pas la bonne ou parce que son client/patient n’est pas prêt pour accueillir cette confrontation, respecter la sécurité ontologique du client implique que le praticien questionne  sa pratique, son geste voire travaille sur lui-même : quelle était son intention en confrontant son client de cette façon là et à ce moment-là ? quelle part de cette intention doit continuer de le guider dans son travail avec cette personne ? quelle part lui appartient et est plutôt de l’ordre du  contre-transfert ? (comme par exemple, l’impatience du praticien, son éventuelle irritation, sa ténacité et peut-être son refus de lâcher sur son hypothèse, ses propres projections, ses identifications etc…  )

La confrontation est souvent perçue comme faisant partie du cœur de métier de l’accompagnement du coache. Or, confronter c’est nécessairement prendre le risque d’aller aux limites de la sécurité ontologique du client. A titre personnel, cela fait partie de ce qui me met mal à l’aise dans l’exercice du métier de coach tel qu’il est parfois enseigné et exercé. Probablement parce que j’ai moi-même suivi une psychanalyse où le respect des défenses du patient était au cœur du travail d’analyse. Je vais y revenir. Mais aussi parce que j’y vois la porte ouverte à une forme de violence psychique qui n’est pas toujours conscientisée par les coachs. Je ne parle pas du coach que nous avons tous été un jour, qui ayant confronté un peu maladroitement son client et s’en étant rendu compte (auto-evaluation, supervision etc..)  fait évoluer son accompagnement pour mieux s’ajuster par la suite… Celui-là ne met jamais en risque son client, car il doute, il questionne, il affine son geste et utilise ce qu’il apprend pour mieux accompagner son client à la séance d’après ou lors du coaching suivant…

Non, je parle plutôt des coachs qui persistent dans des accompagnements ultra-confrontants sans se remettre en question ( que ce soit parce que les bases déontologiques du coaching ne sont pas acquises ou au contraire parce qu’ils sont devenus trop surs d’eux même…) et sans se rendre compte qu’ils sont en train, en fait, d’imposer leur propre vision du monde à leur client.

Ne pas franchir les limites de l’intégrité de la personne, respecter la dignité de chacun sans imposer ses propres croyances, ni ses valeurs n’est pas chose aisée et demande un travail exigeant sur soi-même. Sur sa pratique autant que sur ses propres zones d’ombre. Quand on débute bien sûr mais aussi, et on l’oublie parfois, quand on gagne en maturité …

 

 En cela ce que nous dit la psychanalyse des mécanismes de défense peut être éclairant. Les mécanismes de défense psychologique sont décrits comme des stratégies mentales qui permettent au patient de faire face à ses émotions, à son anxiété, au stress, et à toutes sortes de conflits internes ou de menaces pour son intégrité psychique et/ou physique.  

Ce sont donc d’abord et avant tout des mécanismes d’adaptation importants pour sa survie psychique et qui sont le plus souvent totalement inconscients. C’est lorsqu’ils prennent des proportions trop importantes et/ou qu’ils empêchent la personne d’agir, qu’ils peuvent devenir source de difficulté chez les personnes.

 En psychanalyse, le but n’est bien sûr pas d’encourager la mise en place ni le renforcement de ces mécanismes de défense. Mais plutôt que d’y confronter ses patients, le praticien cherche d’abord et avant tout à comprendre pourquoi et comment ils se mettent en place pour faire face aux problèmes rencontrés par la personne. C’est une des raisons pour lesquelles le travail d’analyse nécessite un temps long que ne permet pas le cadre du coaching par exemple. 

Parmi les principaux mécanismes de défense on peut citer :

  • Le déni (refus de la réalité pour échapper à l’angoisse) ;
  •  la rationalisation (excuser l’inacceptable par des arguments logiques ou raisonnables) ;  
  • la projection (attribuer à d’autres ses propres sentiments, pensées, croyances…), la répression (refouler les pensées ou les sentiments désagréables pour éviter par ex de se confronter à des traumatismes anciens),
  •  la régression (revenir à des comportements d’un stade de développement antérieur), 
  • la sublimation (transformer ses pulsions/émotions inacceptables en comportement socialement acceptables), 
  • la compensation (sur-développer un domaine pour compenser un autre domaine où on se sent plus faible ; compétences intellectuelles vs physiques par exemple), la formation réactionnelle (adopter un comportement opposé à ses vrais sentiments), le déplacement (transférer ses émotions d’un objet ou d’une personne vers un/une autre), 
  • la projection/identification (percevoir et :ou réagir aux autres comme s’ils étaient porteurs d’un aspect de sa propre personnalité que l’on rejette).

En tant que coach, il ne s’agit certainement pas de se lancer dans un travail analytique sur les mécanismes de défense. En revanche, les connaître, savoir les reconnaître pour soi et pour les personnes que l’on accompagne peut nous permettre de renouer en toute humilité avec les limites du  cadre de nos interventions : 

nous ne sommes certes pas là pour être dans la complaisance avec nos client mais nous ne sommes pas là non plus  pour démonter des mécanismes de défense solidement ancrés. Et ce d’autant moins que la psychanalyse nous explique aussi qu’en malmenant les défenses du patient, le praticien risque d’entraîner le renforcement des protections que la personne a mises en place via ses mécanismes de défense, ( ce que les psychanalystes appellent notamment les résistances) voire de la réactance (renforcement de la position initiale de la personne qui se sent contrainte), ou du passage à l’acte (réduction des conflits interne par une mise en acte impulsive) etc… 

Autrement dit, repérer les mécanismes de défense à l’oeuvre peut nous permettre d’éviter de confronter nos clients et de les inviter plutôt à prendre conscience de leur existence, à s’interroger sur leurs conséquences, et éventuellement à leur permettre de faire bouger quelques-unes de leurs lignes mais sans jamais oublier que le temps de la personne est souvent un temps bien plus long que celui du coaching et qu’en psychanalyse, il faut parfois de très nombreuses années pour travailler sur ces mécanismes de défenses.

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