Empathie: que se cache-t-il du coté obscure de la force?

Empathie et coaching : le coté obscur de la force
Empathie et coaching : le coté obscur de la force

 

En relisant le magazine cerveau et psycho d’avril 2018, j’ai eu envie de me reposer la question de l’EMPATHIE dans mon métier de coach. En effet, on imagine volontiers que ceux qu deviennent coachs sont ceux qui au départ étaient plutôt doués pour l'empathie. Plus généralement, la capacité d’empathie est généralement perçue comme une qualité qui est largement valorisée socialement. Elle fait partie des "softs skills" que l'ont recherche dans les entreprises. Et nous l'associons volontiers à notre humanité : entraide, solidarité, compassion etc…

Si elle est en effet un des outils essentiels du coach. Encore faut il savoir de quelle empathie on parle, de ce que ce qui la constitue vraiment, et dans quelles circonstances on peut l’utiliser, pour quoi faire. En soi la capacité d’empathie n’est en fait, ni bonne ni mauvaise. Elle fait partie des mécanismes qui sont utiles à l’être humain et en particulier pour lui permettre de vivre en groupe (et donc de survivre). Mais comme toute faculté spontanée, prendre conscience de la façon dont elle advient et partant, pouvoir mieux la gérer, participe à notre bien être et à notre équilibre personnel.

 

Une empathie distanciée pour éviter d'être manipuler

 

Tout d'abord, nous ne sommes pas tous égaux face à l’empathie. On fait plus ou moins preuve d’empathie selon sa personnalité, son histoire, son caractère. Mais rares sont ceux qui semblent en être totalement dépourvus. Lorsque c’est le cas, cela est souvent le signe d’un problème psychopathologique important.

  • On a longtemps cru que les psychopathes en étaient dépourvus. Les dernières recherches dans ce domaine montrent que c'est plus compliqué. Ce serait surtout des personnes capables de manipuler l'empathie ressentie par leurs contemporains. Autrement dit trop d'empathie pourrait donc fragiliser ceux que la ressentent.
  • Dans un registre pas très éloigné, on peut aussi mentionner la façon dont certains politiques comme Trump par exemple, exploitent l’empathie de leurs cibles. sur ce sujet, Serge Tisseron a particulièrement bien montré comment l’utilisation de la compassion peut être un levier  efficace pour réussir à faire croire à certaines personnes que l’on partage leurs espoirs et leurs difficultés. En disant exactement ce que les classes populaires américaines veulent entendre, Trump a réussi à leur faire croire qu’il ressentait leurs difficultés et leurs inquiétudes lui aussi, et donc qu’il allait les aider. On pourrait analyser de la même façon ce qui se passe aujourd’hui en Italie par exemple.

Autrement dit, dans sa vie personnelle et a fortiori quand on est un coach, être dans l’empathie au premier degré,  c’est  prendre  le risque de se faire manipuler.  Ce risque peut être maîtrisé à condition de se former et de pratiquer pour savoir mettre son empathie à distance et être capable d'en prendre conscience pour l'utiliser comme un guide pour construire son intentionalité de coach.

 

Gérer son empathie pour ne pas tomber dans le cynisme

 

 Fritz Breithaupt, un chercheur allemand, a montré qu’une empathie trop importante pouvait finir par induire des effets radicalement opposés. Lorsqu'on est submergé par les émotions suscitées par notre empathie, on peut aussi développer une sorte de résistance. On l’observe quotidiennement face aux souffrances de nos contemporains dans le monde: 

  • En Allemagne par exemple, quand les premiers réfugiés syriens sont arrivés, la population a d’abord réagit favorablement pour les accueillir, les soutenir et les aider. Avec le temps,  face à l’immensité de la souffrance des populations qui sont arrivées en masse, les gens ont fini par se protéger du trop-plein des sentiments perçus. Si certains ont basculé dans l’indifférence d’autres ont été jusqu’à l’hostilité.
  • C’est aussi ce qui se passe parfois, pour les professionnels qui sont confrontés à trop de détresse, de violence ou de souffrance. Chez certains d’entre eux, le trop de stress empathique peut produire des réactions d’évitement de mise à distance, de cynisme ou de burnout. On l’observe chez certains personnels de santé ou d’assistance par exemple. Les coachs, de ce point de vue font aussi partie des personnes à risque.

Être conscient de son empathie pour savoir rester neutre et bienveillant

 

Même quand ce n’est pas consciemment, et sans aucune volonté de manipulation, ressentir de l’empathie n’est pas un sentiment univoque.  Si on ne sait pas distancier ce qu'on ressent, l'empathie pousse souvent à se mettre à la place de l’autre. Or, dans un certain nombre de situations, et en particulier pour un coach, il est extrêmement facile d’induire sans s’en rendre compte, une relation de domination / dominé. On commence par ressentir comme celui qui est en face, et si on ne prend pas conscience de ce qu'on ressent, on pense sincèrement pouvoir penser à sa place. On tend même rapidement à le conseiller voire à agir à sa place.  Tout se passe finalement comme si, on finissait par savoir mieux que lui ce qui est bon pour lui.  Au bout du compte, en laissant parler notre empathie spontanée, nous ne laissons plus l'autre disposer de son autonomie.

Dans un autre registre,  on peut aussi se poser la question des personnes ou groupes de personnes pour lesquels on est plus enclins à ressentir de l’empathie:

  • Ressent-on la même empathie pour un SDF allongé dans son vomi alcoolisé que pour un jeune homme, bien mis, inerte à côté de son scooter ? De quoi cette empathie discriminante est-elle le nom ?
  • Et pour pousser l’analyse à son paroxysme, comment peut-on expliquer que les bourreaux allemands des camps aient pu ressentir de l’empathie pour leurs proches sans en ressentir aucune vis-à-vis des déportés ?

Ces questions provocatrices n'ont d'autres but que d'attirer l'attention sur le fait  qu'il est important pour un coach de chercher à comprendre ce que cache en fait, sa tendance naturelle à l’empathie. Ce qu’on pense être une qualité spontanée n’est-elle pas aussi une façon de se mettre en avant, de se valoriser dans la relation à l’autre, de nous montrer sous notre meilleur jour ? Ressentir de l'empathie pour tels types de personnes plutôt que pour tels autres, n'est il pas mieux perçu socialement? etc..

 

Loin de moi l’idée de refuser toute forme d’égoïsme ou de narcissisme diraient les psys. Au contraire, se connaître, savoir ce qui nous fait du bien et comment prendre soin de soi est essentiel pour son bien-être et sa santé mentale. C'est aussi vrai pour les coachs. Pourquoi se priver de sa capacité d’empathie tant qu’elle nourrie une image positive de nous-même et qu’elle contribue à notre estime de nous-même ? Mais ne soyons pas dupes. Dans un contexte où le marketing et les politiques de tout bord exploitent notre tendance à la compassion, sachons aussi de quoi est vraiment fait ce que nous ressentons. A fortiori pour des professionnels de la relation à l’autre, mener un travail approfondi sur soi-même est à la fois salutaire pour soi et pour les autres.

  • Cela permet tout d’abord de devenir capable de repérer les émotions suscitées par notre capacité d’empathie.
  • En les repérant, cela permet de devenir capable de les gérer en les mettant en mot. C'est à dire  en mettant des mots pour soi mais aussi en mettant des mots pour l’autre et en reformulant les émotions que l’on ressent dans la relation d’accompagnement, pour aider nos clients à en prendre conscience à leur tour.

Enfin, non seulement la profession de coach est  une profession où il est essentiel de se protéger contre le stress empathique, mais se laisser aller à une empathie qui ne serait pas suffisamment distanciée, ce serait aussi prendre le risque de faire exactement l’inverse de ce que nous nous engageons à faire, à savoir offrir à nos clients un cadre bienveillant, neutre, exempts de tout jugement et toutes discriminations.

 

 

Commentaires: 1
  • #1

    Prunelle Bergeron Brossard (mercredi, 13 novembre 2019 04:02)

    Bonjour Gaelle,

    Selon moi, l'empathie est une qualité essentielle pour tous psychologues, coachs et autres professionnels de la santé. L'empathie consiste à se mettre à la place de l'autre tout en conservant une certaine objectivité. Donc, l'empathie inclue la notion de mise à distance, contrairement à la sympathie, qui signifie littéralement partager les émotions de l'autre. Je dirais ainsi que c'est l'excès de sympathie qui peut fragiliser la personne qui la ressent.

    Le coach ou le professionnel ne doit pas tomber dans la sympathie puisqu'il risque le burn-out. Et même pour la personne aidée, l'objectivité du professionnel est sécurisante. Cette attitude professionnelle instaure un cadre et des limites claires.